Mario Girard
La Presse
Je suis un grand marcheur. C’est ainsi que j’aime me déplacer la plupart du temps dans la ville. Pour les longues distances, je me transforme en sardine et je me glisse dans le métro. Et pour les grands trajets, je prends ma vieille Honda en souhaitant qu’elle ne me lâche pas au beau milieu de la 40.
Marcher dans les rues de Montréal me permet de décrocher, d’écouter de la musique ou la radio, d’écrire (dans ma tête). Cela me donne surtout le loisir de regarder la ville sous toutes les coutures, de la trouver belle à en avoir des frissons ou de la trouver laide jusqu’au dégoût.
Depuis des années, un truc me fascine autant qu’il me désole : la forte présence des bouts d’asphalte dans les trottoirs. Cette spécialité montréalaise est absolument ahurissante. C’est devenu tellement répandu qu’on ne s’en rend plus compte.
Faites l’exercice et regardez où vous marchez ! Sur environ 200 mètres de trottoirs, vous allez rencontrer trois ou quatre rapiéçages d’asphalte.
Comment naissent ces damiers hideux ? Des travailleurs, municipaux ou du secteur privé, débarquent un matin, font sauter le béton du trottoir pour y faire des travaux d’eau, d’électricité, de gaz ou de câblodistribution et repartent l’après-midi en remplissant le trou avec du bitume.
S’il s’agissait de mesures temporaires, ça pourrait aller. Mais voilà, ces bouts d’asphalte restent là pendant des mois, voire des années. On en retrouve par centaines dans la ville. Cela contribue à faire de Montréal une ville négligée, une ville botchée, une ville rapiécée.
Je suis très souvent témoin de ce rapiéçage. J’habite à deux pas de la rue Saint-Denis et j’ai remarqué que cette artère commerciale, qui fut le théâtre d’importants travaux en 2015 et 2016, a déjà commencé à être rapiécée. Six mois après un nouvel asphaltage en août dernier, de petites interventions ont eu lieu. Y a pas à dire, la beauté est vraiment éphémère.
Ce rafistolage, qu’on retrouve dans les rues, les pistes cyclables et sur les trottoirs, est lié (en grande partie) à un manque de coordination de l’ensemble des travaux qui sont faits dans la ville.
C’est donc en hurlant de joie que j’ai pris connaissance de la création d’un guichet unique pour coordonner l’ensemble des travaux faits sur le territoire de Montréal. Je salue la décision de l’administration Coderre, qui reprend le contrôle de la situation en centralisant les demandes émanant de la ville-centre, des arrondissements et des entreprises privées.
La création de ce guichet devrait éviter une catastrophe comme celle du boulevard Saint-Laurent, qui a été éventré deux fois de suite en 2008 ; une première fois par la Ville pour des travaux de remplacement de la chaussée, des conduites souterraines et des trottoirs, et une deuxième fois par Gaz Métro pour le remplacement de ses propres conduites.
En prenant connaissance de la création de ce système que les villes de Toronto (programme INview), Boston et New York ont déjà depuis quelques années, certains d’entre vous pourraient se dire : Quoi ? Ça n’existait pas déjà ? En fait, il y avait depuis deux ans à Montréal un système qui permettait de gérer les opérations de ces entreprises qu’on appelle les réseaux techniques urbains (RTU).
Mais le nouveau système qui sera officiellement mis en place le 1er juin donnera plus de pouvoir à l’administration centrale. Celle-ci pourra faire attendre des travaux non urgents ou même facturer aux entreprises le coût de détérioration des rues que les travaux pourraient entraîner.
Lors d’une entrevue hier, Lionel Perez, responsable des infrastructures au comité exécutif de la Ville de Montréal, m’a assuré que le dialogue avec les RTU se déroulait très bien jusqu’à maintenant.
En effet, les porte-parole de Bell, Gaz Métro et Hydro-Québec m’ont tous dit qu’ils saluaient l’arrivée de ce guichet. Chez Vidéotron, on m’a toutefois dit qu’on avait entendu parler de ce projet « dans l’actualité », mais que rien ne leur avait été « présenté plus concrètement ».
On verra si ce nouveau système sera efficace et comblera tout le monde. On verra aussi si la ville perdra enfin ses patchs. En agissant ainsi, l’administration Coderre envoie un message clair à l’ensemble des partenaires. Mais elle prête également flanc aux critiques des observateurs.
Lorsqu’on éventrera une rue deux fois de suite, on saura précisément qui blâmer.
La ville trouée
Nous voici rendus à la période de l’année où circuler en voiture dans les rues de Montréal donne l’impression d’être des personnages du film La nuit de Varennes. Nous roulons dans des carrosses comme au temps de Louis XVI.
J’ai pu ressentir il y a quelques jours ce que nos ancêtres ont connu au XVIIIe siècle en empruntant ma voiture pour faire une course à l’autre bout de la ville. Il n’y a pas que la grippe qui est forte cette année, les nids-de-poule le sont aussi. J’ai remonté ma vitre de peur d’être éjecté de ma voiture.
Depuis des années, on se demande à qui ou à quoi attribuer la présence de ces nids-de-poule qui, bon an, mal an, atteignent le chiffre mirobolant de 90 000 par année à Montréal. La mauvaise qualité de l’asphalte ? L’aplomb des chaussées ? Le sous-financement ? La négligence ? La compétence des entreprises engagées ?
Avez-vous remarqué que depuis quelque temps, on ne parle plus de ces causes ? On ne fait que mettre en cause le mercure qui joue au yo-yo. D’ailleurs, ce sont les météorologues qui commentent l’état des nids-de-poule, pas les spécialistes du bitume ou de la construction des routes.
Je trouve que les soubresauts de la météo ont le dos large. Ils sont maintenant les uniques responsables de ce fléau. Encore une fois, on vit avec cela sans se poser de questions et on fait du rapiéçage pour gagner du temps.
Au fond, je m’énerve pour rien. Je devrais faire preuve de patience. Selon les experts qui s’intéressent au réchauffement climatique, la température devrait augmenter d’environ 4 °C d’ici à la fin du siècle. À ce rythme-là, dans 250 ans, nous aurons des hivers chauds qui ne créeront plus de fluctuations de température. Bref, ça sera la fin des nids-de-poule !
Et dites-vous que si les experts se trompent, à bord de nos voitures volantes, on ne sentira plus les trous dans les rues.