Des chercheurs se penchent sur l’entretien des voies routières et cyclables afin de limiter les accidents
Climat, circulation, travaux : les routes du Québec sont malmenées et se dégradent à grande vitesse. Les coûts matériels et parfois humains qui en découlent poussent des chercheurs à proposer de nouvelles façons d’envisager l’entretien du réseau routier et cyclable de la province.
Les routes du Québec sont mal en point, au plus grand dam des usagers. Si pour un automobiliste rouler dans un nid-de-poule rime souvent avec un passage au garage et des centaines de dollars en moins, pour un cycliste la situation peut être bien plus grave et valoir un séjour à l’hôpital, ou pire.
Il y a deux ans, alors qu’elle circulait à vélo rue Chambord, à Montréal, pour se rendre sur son lieu de travail, Sophie Bouchard a roulé dans une flaque d’eau qui cachait en réalité un trou de plusieurs centimètres. Ce fut la chute directe. « J’ai été chanceuse,confie-t-elle, je m’en suis sortie avec une entorse à la cheville et de grosses égratignures ici et là. J’allais vraiment lentement, sinon ça aurait pu être bien pire. »
La jeune femme n’est pas la seule à s’être blessée en raison du mauvais état de la chaussée. C’est le cas de plusieurs cyclistes chaque année à travers la province. Certains, n’ayant pas la « chance » de Mme Bouchard, en ressortent avec de graves blessures.
« Une voiture, ça va abîmer ses pneus, mais quand un cycliste roule dans un nid-de-poule, il rentre dedans et c’est une chute », s’inquiète la directrice de Vélo-Québec, Suzanne Lareau. Et quand bien même le cycliste tenterait d’éviter le trou formé dans l’asphalte, en déviant de sa trajectoire, il se met en danger en étant plus susceptible de frôler des voitures », soutient-elle.
« On a clairement un problème au Québec en matière d’infrastructures et de réseau routier », renchérit la porte-parole de CAA-Québec, Annie Gauthier, qui se désole de voir l’état des routes jouer autant sur la sécurité tant des automobilistes que des cyclistes.
Sans pouvoir avancer de statistiques sur le nombre d’accidents causés particulièrement par ce problème, Mme Gauthier soutient que le montant des réclamations a beaucoup augmenté ces dernières années en ce qui a trait à des réparations de véhicules, et elle voit un lien à faire.
Pour elle, le problème repose essentiellement sur le nombre grandissant de véhicules circulant sur le territoire. La Fondation Suzuki estimait récemment qu’en moyenne 80 000 véhicules s’ajoutaient sur les routes québécoises chaque année depuis 2006. « Quand on a construit [notre réseau routier], on ne l’a peut-être pas pensé pour autant de passages de véhicules », dit-elle, estimant qu’il faudrait réduire la circulation routière au plus vite, notamment en encourageant davantage l’utilisation et l’offre de service en transport en commun.
Prévenir plutôt que guérir
« Je dirais que le trafic contribue le plus à la détérioration des routes, suivi du climat et enfin du mauvais entretien », considère quant à lui Soliman Abu-Samra, de l’Université Concordia.
Le doctorant s’inquiète grandement du vieillissement des routes de la province, rappelant que, rien qu’à Montréal, en moyenne 50 000 nids-de-poule sont comblés chaque année.
50 000C'est le nombre de nids-de-poule comblés chaque année à MontréalSource: Pavement Condition Rating Using Multiattribute Utility Theory
Mais impossible d’agir sur le climat et difficile d’influer sur le trafic pour un chercheur. M. Abu-Samra a toutefois développé — avec d’autres chercheurs de Concordia — un système pour évaluer précisément l’état actuel d’une chaussée et ainsi recommander une intervention appropriée avant que la situation ne s’aggrave. Une façon d’aider les municipalités à mieux planifier leurs travaux d’entretien.
« La différence avec les autres systèmes, c’est qu’il tient compte des facteurs opérationnels et climatiques, soit le trafic quotidien annuel moyen, le gel et dégel, la température moyenne en été et en hiver », explique-t-il.
« Il faut penser le défaut d’infrastructure comme un être humain souffrant de tumeur cérébrale. Plus tôt vous le détectez et intervenez, moins le cancer se propage, et les chances et les chances de sauver une vie augmentent. C’est pareil avec une route qui a une fissure minuscule; en cas d’intervention retardée, la fissure se propagera et causera des dommages structurels à la route », donne-t-il comme exemple.
D’après lui, la fermeture de routes pour refaire entièrement la chaussée et le coût que cela engendre pourraient être évités si les travaux d’entretien n’étaient pas retardés. « Le coût du retard de maintenance puis de réhabilitation peut être 6 à 10 fois supérieur à celui d’une action préventive », indique-t-il.
Les pistes cyclables ne sont pas épargnées
Véhicules ou non, les chaussées ont une durée de vie limitée, constate quant à elle Suzanne Lareau, de Vélo-Québec, faisant remarquer que les pistes cyclables n’échappent pas non plus aux fissures et aux nids-de-poule. Elles s’abîment moins vite que les routes, mais ont tout de même besoin d’être refaites pour éviter de mettre la santé, voire la vie, des cyclistes en danger.
À ses yeux, il serait nécessaire que les municipalités se dotent de normes pour surveiller et entretenir les pistes cyclables, comme il en existe déjà pour les routes traditionnelles.
4,6 milliards
C’est la somme investie sur les routes du Québec, pour la période 2017-2019, provenant des contribuables, que ce soit par l’entremise de taxes, de frais divers ou de redevances.Source: CAA Québec
Le Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines (CERIU) a justement publié en mai dernier un Guide d’auscultation pour les voies cyclables, avec l’aide financière de la Ville de Montréal. Le guide, tout premier du genre, s’adresse aux municipalités, entrepreneurs, organismes et institutions oeuvrant dans le milieu des infrastructures.
Alors que de nouvelles pistes cyclables voient le jour chaque année, d’une ville à l’autre à travers la province, aucune norme en matière d’inspection et d’entretien de ces voies n’existe à l’heure actuelle au Québec, indique Maéva Ambros, chargée de projet au CERIU. « On voulait établir de bonnes pratiques dans le domaine et aider les municipalités à homogénéiser leurs façons de faire et à bien évaluer l’état des pistes. On leur propose notamment un classement en fonction du degré de sévérité. »
Les villes sont en effet peu outillées dès qu’il s’agit d’entretenir leur réseau cyclable à long terme. Et utiliser les techniques existantes pour ausculter l’état des routes ne serait pas la solution puisqu’elles ont été conçues en fonction du confort des conducteurs de véhicules. « Le degré de sévérité n’est pas le même entre une route et une piste cyclable », soutient Maéva Ambros.
« Un pneu de vélo, c’est bien plus fin qu’un pneu de voiture, donc [une chaussée en mauvais état] devient plus rapidement dangereuse pour les cyclistes. Certaines fissures ne sont pas acceptables sur les pistes cyclables alors qu’elles seraient encore tolérées sur une route traditionnelle », note-t-elle.
De son côté, Mme Lareau estime que les travailleurs de la Ville ont aussi leur part de responsabilité dans ce problème. Elle déplore le manque de soin avec lequel ils rebouchent et colmatent les chaussées qu’ils ont dû éventrer pour réparer des canalisations. « C’est fait vite, sans se préoccuper du fait que les cyclistes ont besoin d’une surface plus lisse que les voitures pour leur sécurité », ajoute-t-elle.
Source: Le Devoir